Sommes_nous encore vieux à 60 ans ? Nous paraissons pourtant bien plus jeunes que nos arrières grands parents au même âge. Comment expliquer ce paradoxe ? C’est ce que tentent de nous expliquer Paul Bernard et Dominique Cancellieri-Decroze dans leur ouvrage « La population vieillit mais nous rajeunissons ». Ils nous démontrent que l’image déprimante du vieillissement de la population est un leurre.

images (2)

Ouvrez votre album de famille et juxtaposez les photos de Joséphine, 38 ans en 1900 et d’Anne, son arrière-petite-fille, 55 ans en 2008. Les vêtements mis à part, elles ont l’air d’avoir le même âge : même allure, même maturité, mêmes rides. Chacun d’entre nous « fait moins que son âge » par comparaison avec ses aïeuls. Nous sommes plus jeunes, en look et en vitalité. 

Comment concilier ce constat avec le fameux « vieillissement de la population » dont on nous rebat les oreilles ? Quel mauvais génie s’obstine à nous susurrer cette affirmation pernicieuse ? Sommes-nous vraiment une espèce vieillissante ? Nous subissons surtout depuis trop longtemps un véritable lavage de cerveau. 

L’entrée dans la vieillesse est plus tardive 
L’analyse proposée repose sur des constatations simples. Les thèses officielles nous décrivent un déferlement de vieillards : les plus de 60 ans étaient 5 millions en 1900 ; ils sont 13 millions en 2008 et pourraient atteindre 22 millions en 2050. N’y a-t-il pas de quoi s’effrayer ? 
Où est l’erreur ? On était vieux à 60 ans en 1900, c’est bien exact. Mais on ne l’est plus en 2008. Refaites l’expérience des photos. Mettez celle de votre arrière-grand-oncle Hyacinthe, 60 ans en 1900, à côté de celle de votre grand-père Louis, 72 ans, dont vous fêtez l’anniversaire aujourd’hui. Là encore, à part le col amidonné et les moustaches conquérantes, on dirait qu’ils ont le même âge. D’après les tables démographiques(1) Hyacinthe avait à 60 ans une espérance de vie résiduelle (un « reste à vivre ») de 14 ans, et Louis a exactement la même en 2008. Cela veut dire que leur degré d’usure et leur vitalité sont identiques. Pourtant l’un a 12 ans de plus que l’autre. L’âge de l’entrée dans la vieillesse a reculé. 
Ce constat n’a rien d’étrange. Depuis 1900, tant de progrès ont été accomplis pour améliorer l’hygiène, la santé, la protection sociale et faciliter les tâches quotidiennes. Nous en profitons à tous les âges. En 1900, l’usure de notre organisme survenait bien plus tôt ; aujourd’hui nous entrons plus tardivement dans la vieillesse. Quoi de plus normal ? Ce qui est étrange, en réalité, c’est qu’on continue à raisonner comme si rien ne s’était passé depuis 1900. 

Le concept d’âge vital. 
A mesure que la santé des êtres s’accroît, l’espérance de vie distend les échelles, et l’âge d’état-civil se révèle un ratio trompeur, car il reste sous l’emprise d’un inconscient façonné par des millénaires de représentations, dans lesquelles la jeunesse passait bien vite, presque aussitôt rattrapée par une vieillesse galopante. 

Mais tout est si différent aujourd’hui. Ce qui compte, c’est « l’âge de nos artères », mesuré par notre usure et notre capacité de résistance aux agressions du temps, lesquelles sont en corrélation étroite avec notre « reste à vivre » statistique, donné par les tables. 

Quelques exemples. Un homme de 45 ans en 2008 a le même « reste à vivre » qu’un homme de 31 ans en 1900. Son « âge vital » est donc de 31 ans. De même, notre sémillant voisin de 55 ans n’a en fait que 43 ans d’âge vital. Quand à la séduisante femme de 45 ans que nous rencontrons dans l’ascenseur, il est évident que les années n’ont pas eu prise sur elle, car son âge vital n’est que de 25 ans. Proportionnellement, les femmes ont plus rajeuni que les hommes. 

P.Bernard et D.Cancellieri-Decroze proposent un tableau complet de cette correspondance entre âge d’état-civil et âge vital jusqu’à 103 ans. C’est une première tentative pour quantifier ce constat de rajeunissement. Elle a le mérite de mettre en évidence un phénomène trop longtemps occulté. Loin de clore un débat, elle le suscite.

La démographie passée au scanner._ Au paysage sombre d’une population en vieillissement accéléré s’acheminant vers une société d’infirmes en fauteuils roulants, se substitue un panorama beaucoup plus lumineux où triomphent les forces de la vie. La question du nombre des personnes âgées est vite réglée : au-delà du seuil de 72 ans, elles ne sont que 7 millions actuellement, en recul depuis un siècle (13,7% en 1900, 9,7% aujourd’hui). L’envahissement par les vieillards n’était qu’une illusion d’optique ! On se faisait peur avec des épouvantails à moineaux. 

De leur côté, contrairement aux alarmistes, les jeunes ne sont pas une espèce en voie de disparition. Leur proportion s’équilibre au sein d’une population d’espérance de vie croissante. En valeur absolue, ils sont d’ailleurs en augmentation : 16 millions, soit 20% de plus qu’en 1935. Mais les grands gagnants de la longévité, ce sont surtout les adultes. Leur proportion a fait un bond historique. Ils étaient moins de 50% en 1900, et dépassent 63% en 2008. Cette masse foisonnante d’adultes a une avant-garde et une arrière-garde, qui sont en fait de nouvelles catégories de population, nées des conditions nouvelles de la société. 

La première de ces catégories, les primo-adultes, ainsi baptisés par nos deux auteurs, correspond aux jeunes de 20 à 29 ans, dont il faut bien constater à quel point ils peinent pour s’installer dans la « cour des grands ». La deuxième catégorie, celle des alto-adultes, entre 61 ans et 73 ans, comprend ceux qu’on a pris l’habitude d’appeler des seniors et sont actuellement six millions environ Ils représentent un vrai paradoxe. Par leur âge vital, ce sont des adultes en pleine maturité. Pourtant on les « congédie » en les poussant vers la sortie et eux-mêmes continuent à se conformer à la représentation collective de la vieillesse. De prendre conscience qu’ils sont vraiment des adultes, que leur participation active est indispensable à la nation toute entière, pourrait complètement changer la donne. C’est un des points les plus importants de ce dossier si sensible. 

téléchargement (3)Retailler la société aux bonnes mesures. En conclusion, P.Bernard et D.Cancellieri-Decroze invitent à ajuster les mesures de la population à ces évolutions et à imiter les professionnels de l’habillement qui, en février 2006, ont retaillé les vêtements aux nouvelles mensurations des femmes et des hommes d’aujourd’hui, dont la taille et la morphologie ne sont plus les mêmes qu’il y a cinquante ans.

(1) Tables démographiques de France Meslé et Jacques Vallin 
  A lire : La population viellit mais nous rajeunissons. Paul Bernard et Dominique Cancellieri-Decroze. Editions Alphée 17.90 €

 

© 2014,Merci de diffuser ce texte et d'en indiquer la Recherche et transmission par http://www.paroleaupeuple.com
Montrer nous votre soutien en vous abonnant ou en versant un don via Paypal, "voir sur le site"